Luca Pisaroni est à 33 ans l’une des basses italiennes les plus accomplies de sa génération. Figaro endiablé pour Martinoty, Leporello servile et ambigu chez Haneke, il retrouve ce mois-ci le personnage de Guglielmo dans un Cosi fan tutte de Mozart confié à Eric Génovèse au Théâtre des Champs-Elysées.Rencontre avec un artiste réfléchi et enthousiaste à qui tout semble réussir.

Le Châtelet, Garnier, Bastille, Nanterre, le Théâtre des Champs-Elysées, vous êtes très souvent invité à Paris et l’on vous retrouve ce mois-ci dans une nouvelle production de Cosi fan tutte de Mozart au TCE. Comment voyez-vous ce personnage de Guglielmo que vous avez interprété à de nombreuses reprises?


J’aime tout particulièrement développer le côté sombre de Guglielmo, que beaucoup trouvent superficiel, alors que je le considère comme Don Alfonso en devenir, dans le sens où ce qui lui arrive pendant cette journée, va le changer radicalement, jusqu’à la perception qu’il pouvait avoir de la vie. Je suis également très intéressé par le dilemne intérieur qu’il cherche à résoudre et qui le force à passer de l’état d’adolescent à celui d’adulte. Pour moi qui suis encore jeune, j’ai le sentiment que ce personnage est contraint de suivre un parcours quasi initiatique, au cours duquel il va découvrir des choses essentielles sur la vie et notamment sur les relations entre les autres, qu’il ne connaissait pas et qui vont transformer son regard sur l’existence. J’éprouve beaucoup de plaisir à jouer son double jeu, pour faire comprendre au public qu’il ne croit pas à cette mascarade ; on ne peut pas se comporter comme il le fait, sans avoir d’une côté de la tendresse et de l’autre un certain cynisme. Je ne sais pas si j’aborderai Don Alfonso, rôle intéressant d’un point de vue dramaturgique, mais auquel il manque à mon avis, des explications : il est difficile de savoir pourquoi il agit comme il agit et pousse ces jeunes hommes à ce comporter de cette manière. Aucun élément ne nous renseigne sur les raisons de sa motivation, ce qui reste pour moi une énigme. 

Votre nom est associé à Mozart dont vous chantez Figaro, Leporello, Guglielmo, mais aussi Masetto, Publio et Papageno. Comment êtes-vous parvenu à ce répertoire. Etait-ce voulu au départ ou un hasard ?

Par choix, parce qu’à l’institut déjà, j’aimais les drames, les dilemmes intérieurs des personnages et la manière dont chaque caractère réagit face aux difficultés. La musique de Mozart est d’un point de vue théâtrale exceptionnelle, les livrets de Da Ponte étant pour moi proches de la perfection. Le répertoire mozartien s’est très vite avéré conforme à mon type de voix, ce qui explique pourquoi je le chante si souvent, à l’exception de Don Giovanni, qui, sur le plan vocal n’est pas impossible, bien que je me définisse comme baryton-basse et non le contraire, mais dont l’interprétation est diablement complexe. Ce rôle ne supporte pas la demi mesure : où l’on y est fantastique, où l’on y est horrible. La médiocrité ne lui va pas. J’ai adoré la production de Mickaël Haneke et les rapports troublants qui étaient instaurés entre Don Giovanni et Leporello.

Vous chantez Mozart, Rossini, Haendel et le répertoire baroque avec Harnoncourt, Bolton, Jacobs, Haïm ou Spinosi, garants d’une certaine authenticité, sur instruments anciens, aussi facilement qu’en compagnie de Harding ou de Cambreling, sur instruments modernes. Cela a-t-il des conséquences sur votre manière de chanter et d’interpréter la musique?

Je ne peux pas dire que ma façon de chanter soit identique, car chaque directeur musical apporte avec lui ses propres idées et je ne pense pas qu’il y ait une approche unique. Quand je me retrouve sur une production, je suis toujours très ouvert à toutes les propositions et plus un chef a des idées étranges, plus cela me convient. Il faut bien avouer que si je dois participer à une nouvelle production des Noces de Figaro qui resemble à celle que je viens de quitter, cela finit par être lassant. J’ai besoin des autres pour trouver de nouveaux angles d’attaques et poursuivre mes recherches. Je suis particulièrement heureux lorsqu’un chef, ou un metteur en scène, m’entraîne dans de nouvelles directions, m’aide à poser un regard neuf sur une oeuvre que je pensais connaître. Puis je fais attention à laisser parler la musique, celle de Mozart étant incroyablement précise. Bien sur j’aime changer les tempi, essayer de chanter certains airs plus vite et d’autres plus lentement. En Amérique, je dois chanter les récitatifs plus forts en fonction de la grandeur des théâtres, alors qu’ici au Théâtre des Champs-Elysées je n’ai pas besoin de forcer, l’acoustique est parfaite et je peux quasiment parler les récitatifs, ce qui me plait énormément.

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